Avis important : En raison de la grève de Postes Canada, nous ne serons pas en mesure d’assurer les livraisons des commandes comme à l’habitude. Toutefois, notre service de ramassage en succursale demeure disponible. Toutes les commandes destinées à être envoyées par la poste seront traitées, mais expédiées uniquement après la reprise des services de Postes Canada. Merci pour votre compréhension et votre patience.

Les abus sexuels : du déni à l’accompagnement

Les abus sexuels : du déni à l’accompagnement

La relation à dimension sexuelle impliquant un mineur est un des rares tabous dans les sociétés occidentales contemporaines. Hélas, la stigmatisation unanime ne conduit pas à la disparition de la pratique. Malgré l’accord éthique, il reste donc nécessaire de se pencher sur la question. Et ceci d’autant plus qu’une émotion forte ne suffit pas à produire une prévention efficace. En dépit de la fréquence du phénomène, les Églises et leurs responsables commencent à peine à en mesurer l’ampleur et se montrent souvent démunis pour y faire face. Or le refoulement et le déni ne sont pas des solutions. Ils prolongent la souffrance engendrée par l’abus. Il vaut donc mieux s’informer des mécanismes psychologiques typiques d’un traumatisme, prendre conscience des principes nécessaires pour un accompagnement bienfaisant, acquérir des repères bibliques clairs. De multiples questions se posent : quels sont les signes qui alertent d’une relation abusive ? Comment réagir quand on la soupçonne dans son entourage, y compris à l’Église? Faut-il pardonner sans condition? Pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu quand on a crié à lui ? Le chrétien a-t-il le droit de recourir aux instances judiciaires du « monde »? Ces réflexions sont le fruit du premier « Forum de l’IBN », journée de réflexion organisée par l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne en novembre 2014. L’ouvrage offre au lecteur un guide éclairant qui l’aidera sur ce terrain semé d’embûches. Il s’appuie sur des compétences pluridisciplinaires, tant exégétiques et dogmatiques, que psychologiques et judiciaires. Ont collaboré à cet ouvrage : Agnès Blocher, Fabrice Delommel, Lydia Jaeger, Émile Nicole, Elvire Piaget (†), Gladys Vespasien, Peter Winter.

Avant-Propos Une relation à dimension sexuelle impliquant un mineur1 est un des rares tabous en matière d’éthique sexuelle dans les sociétés occidentales contemporaines. L’accord unanime est d’autant plus frappant que d’autres époques portaient un jugement moral différent sur ce type de relations. Ainsi, la Grèce antique valorisait la pédérastie dans un contexte pédagogique : la relation avec un amant plus avancé en âge était censée mener le garçon pubère à une plus grande maturité et vertu2. La condamnation unanime actuelle de rapports impliquant des mineurs peut être vue comme un des vestiges de la théologie biblique du mariage et de sa restriction de l’exercice licite de la sexualité au cadre de la relation conjugale, donc d’une relation stable entre deux adultes consentants. Hélas, on constate que la stigmatisation unanime ne conduit pas à la disparition de la pratique. Malgré l’accord éthique, il reste donc nécessaire de se pencher sur la question. Et ceci d’autant plus qu’une émotion forte ne suffit pas à produire une prévention efficace – ou une prise en charge réparatrice quand le mal est fait. Le chrétien est concerné comme tout citoyen par la problématique. En même temps, quelques-unes des spécificités de son positionnement font ressortir la pertinence d’une réflexion proprement chrétienne à ce sujet :
  • Aucun texte biblique ne traite spécifiquement de l’abus sexuel commis sur enfant3. Le Lévitique (18.6-18) traite longuement de l’inceste sous toutes ses formes et les classe parmi les « abominations », à cause desquelles « le pays a vomi ses habitants ». Aucun membre du peuple élu, ni aucun immigré ne doit se livrer à de telles pratiques (v. 25-26). En outre, la restriction de la pratique légitime de la sexualité au mariage ne laisse aucun doute sur la condamnation biblique d’une relation à dimension sexuelle qui impliquerait un enfant. Le chrétien rejoint donc sans restriction la condamnation unanimement admise. Mais le chemin argumentatif qui l’y mène n’est pas exactement le même, et il faut s’attendre à ce que le contexte plus large de l’éthique sexuelle biblique ait des répercussions sur la prise en compte du phénomène.
  • Si le thème est très présent dans les médias, on ne peut guère en dire autant de l’enseignement dans les Églises ou dans les écoles de théologie4. Certes, l’abus sexuel touche à l’intimité des plus vulnérables. Il convient de faire preuve d’une grande délicatesse quand on l’aborde. Trop profondes sont les souffrances, trop fragiles les mécanismes de survie mis en place par les victimes. Que l’on ne s’étonne pas de réactions fortes quand le verrou du silence saute. Sans prise en charge compétente, l’issue peut être encore plus dévastatrice5. Pourtant, le refoulement, le déni ne sont pas des solutions non plus. Ils prolongent, en y ajoutant, la souffrance engendrée par l’abus. Dans ce domaine aussi vaut la maxime que c’est « la vérité qui rend libre » (Jn 8.32). Il n’empêche qu’il vaut mieux s’informer des mécanismes psychologiques typiques d’un traumatisme6 , prendre conscience des principes nécessaires pour un accompagnement bienfaisant7 , acquérir des repères bibliques clairs, avant d’aborder un thème aussi chargé existentiellement que l’abus sexuel. Cela ne prémunira pas contre tous les erreurs et échecs, mais nous aidera à éviter au moins les impairs les plus sévères, pour ne pas rajouter à la souffrance subie.
  • Malgré la présence du thème dans le discours médiatique, de grandes incertitudes persistent quand l’abus surgit concrètement dans nos existences. Quels sont les signes qui alertent d’une relation abusive? Comment réagir quand on la soupçonne dans son entourage, voire dans sa propre famille? Ces questions concernent tout citoyen – rappelons l’obligation légale de signaler tout soupçon d’abus quand un mineur est en danger potentiel8. Mais elles revêtent d’autant plus d’importance pour celui qui a charge de mineurs, que ce soit à l’école, dans un centre de loisirs ou à l’Église (moniteur d’école du dimanche, responsable de club d’adolescents, catéchète, etc.). Comme les personnes qui s’occupent des enfants dans nos Églises ont souvent, hélas, reçu peu de formation, la responsabilité du pasteur ou des anciens s’en trouve d’autant accrue. La forte condamnation sociétale pourrait d’ailleurs avoir comme effet (non intentionnel) de renforcer la difficulté à penser l’abus sexuel, et du coup contribuer au déni devant les signaux d’alerte.
  • L’attention que portait Jésus aux enfants – laquelle tranchait avec les habitudes de son époque (Lc 18.15-17) – constitue un stimulant puissant pour porter le chrétien à se pencher sur tout ce qui pourrait leur nuire. Il se rappelle l’avertissement solennel de son Maître : « Si quelqu’un était une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi, il serait avantageux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin, et qu’on le noie au fond de la mer » (Mt 18.6)9. Quand la société environnante porte son regard sur les abus dont les enfants sont victimes, les chré- tiens ne peuvent pas être en reste.
  • Bien que les mécanismes psychologiques de l’abus soient les mêmes pour croyants ou non-croyants – tous ont part à la même nature humaine –, des thématiques spécifiques surgissent dans la pastorale chrétienne. Des convictions différentes s’affrontent dans les milieux évangéliques sur la question du pardon : faut-il pardonner sans condition ou seulement si l’agresseur demande pardon? Comment appliquer le commandement biblique d’honorer son père et sa mère, quand un parent a été auteur ou complice d’abus? Où était Dieu, quand l’abus s’est produit? Pourquoi n’estil pas intervenu quand on a crié à lui? Le chrétien a-t-il le droit de recourir aux instances judiciaires du « monde »? Autant de questions centrales pour la bonne prise en charge et qui demandent un examen théologico-biblique attentif10.
  • Le phénomène des abus est très présent dans la pastorale, dès que l’on y est attentif. Contrairement aux idées reçues, il touche tous les milieux socioculturels, tant non chrétiens que chrétiens. Gardons-nous de penser que cela n’arriverait qu’aux autres. Pourtant, les mécanismes de déni sont si puissants, tant du côté de l’accompagné que de l’accompagnateur, qu’il est facile de passer à côté. Qu’il me soit permis d’évoquer ici un souvenir personnel. On avait fait appel à moi pour apporter un discernement spirituel face à une expérience conflictuelle. Ne voulant (et ne pouvant) jouer le rôle ni du juge, ni du prophète, je m’étais attachée à creuser avec la personne concernée le sens qu’avait cette expérience pour elle. Au bout d’un long échange – et sans véritable transition – celle-ci commença à me parler d’une expérience douloureuse vécue dans son enfance. Le seul fait de repenser à cette situation me fait encore frémir. Combien il aurait été facile d’apporter un jugement pastoral bien affûté et de passer à côté des racines profondes de la colère exprimée, d’autant plus que je subissais des pressions de son entourage pour ne pas prolonger mon écoute auprès de cette personne.
Devant les ravages opérés par les abus sexuels, l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne a décidé de convier les responsables pastoraux des Églises évangéliques à une journée de réflexion organisée le 29 novembre 2014 par le pasteur Patrice Kaulanjan. Le présent ouvrage est le fruit de ce premier Forum de l’IBN. Les diverses contributions ont été retravaillées pour offrir au lecteur un guide éclairant qui l’aidera, nous l’espé- rons, à aborder ce terrain semé d’embûches. Il s’appuie sur des compétences pluridisciplinaires : tant exégétiques et dogmatiques, que psychologiques et judiciaires. En travaillant sur leurs textes, les auteurs ont eu conscience de traiter d’un thème qui allait très au-delà du sujet académique : il concerne des parcours de vie dans lesquels s’est inscrite une déchirure qui a laissé des traces néfastes, repérables souvent encore des décennies après les faits. Le désordre émotionnel dans lequel plonge l’abus sexuel rend pourtant d’autant plus nécessaire la réflexion sereine. Pour ne pas sombrer dans le chaos émotionnel et relationnel, nous devons nous efforcer à aiguiser notre discernement, avec l’appui du meilleur des sciences humaines et l’éclairage de la Parole.

Pour l’équipe pédagogique de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne LYDIA JAEGER


1. L’expression est volontairement vague pour couvrir les différents cas d’abus sexuel, qui ne se limitent pas au rapport consommé. Dan Allender définit l’abus sexuel comme « tout contact ou toute interaction (visuelle, verbale ou psychologique) par lequel un adulte se sert d’un enfant ou d’un adolescent en vue d’une stimulation sexuelle, la sienne propre ou celle d’une tierce personne » (L’enfance déchirée. Espoir pour les victimes d’abus sexuel durant l’enfance, Québec/Lausanne, La Clairière/LLB, 1994, p. 30). 2. Cf. par exemple le discours de Pausanias, dans PLATON, Le Banquet 184c-185c. Ibid. 181c, pour la précision que la forme plus noble de cet amour ne s’attache pas aux garçons les plus jeunes, mais attend « l’âge où l’intelligence commence à se développer, c’est-à-dire quand la barbe est venue » (trad. Victor Cousin, Paris, Pichon et Didier, 1831; http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/banquet.htm, consulté le 16 octobre 2015). 3. Cf. Émile NICOLE, « Le viol de Tamar », p. 13-14 ci-dessous. 4. Une enquête (certes très limitée) pour appuyer ce constat : le thésaurus des mots-clés utilisés dans le catalogue des bibliothèques de l’Institut de théologie évangélique (fédérant la Faculté libre de théologie évangélique à Vaux-surSeine et l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne) ne comporte ni « abus », ni « maltraitance ». Le terme qui s’en approche le plus est « inceste ». Le catalogue répertorie 5 entrées (articles et livres) qui traitent de l’inceste (pour un total de 77196 notices, le 12 novembre 2015). Quand on passe en revue les entrées avec « abus » dans le titre, on peut y ajouter huit notices supplémentaires qui ont rapport aux abus sexuels. (Aucune notice ne comporte « maltraitance » dans le titre.) Ces chiffres sont à comparer, par exemple, à 222 entrées pour « homosexualité », 59 pour « contraception », et 167 pour « divorce ». 5. Un professeur du secondaire nous a rapporté le suicide d’une élève, après qu’elle avait révélé à un de ses collègues l’abus dont elle avait été victime. Quand le refoulement cesse, l’horreur peut être trop lourde à porter sans accompagnement adéquat. 6. Cf. Agnès BLOCHER, « Abus sexuel intrafamilial : faire face au choc pour revivre », p. 25-59 ci-dessous. 7. Cf. Gladys VESPASIEN et Elvire PIAGET, « Parler ou se taire? Quel accompagnement l’Église peut-elle offrir? », p. 73-84 ci-dessous. 8. Cf. Fabrice DELOMMEL, « Les abus sexuels : l’aspect judiciaire », p. 71, 142-143 ci-dessous. 9. L’expression ne vise certainement pas les enfants seuls, mais tout croyant petit et vulnérable (cf. Mt 10.42 et 11.25, pour un usage similaire). Jésus pointe vers un enfant comme exemple type de cette catégorie (Mt 18.2-5), de sorte que les enfants doivent y être inclus. 10. Cf. Lydia JAEGER, « Abus sexuels commis sur des enfants : repères théologiques », p. 97-139 ci-dessous.